Lumière du Paradis
J'ouvre lentement les yeux. La lumière m'entoure et m'emplit, la lumière éclaire le paysage autour de moi et modèle le ciel au dessus de moi...
J'ai l'impression d'être cette lumière...
Lorsque je me redresse, des visages me regardent, sourient. Mes yeux les parcourent lentement, gravant leurs traits dans mon esprit.
Messiel, Judel, Isaël.
Les trois Séraphins. Ils me sourient... Et comme par mimétisme, moi qui viens de m'éveiller et ne sais encore rien, je leur souris aussi.
Et je me lève.
Je suis Lucifer, l'ange porteur de Lumière. Une lumière divine que je portais sur terre, que je portais aux mortels. Une lumière divine qui faisait sourire mes compagnons lorsqu'ils me voyaient, et j'étais heureux du bonheur que je voyais dans leurs yeux. Mes compagnons, mes amis... Mes chers amis... Et ce temps de félicité semblait devoir durer à jamais...
Puis un jour... Un jour, les hommes se rebellèrent contre leur destin. Ils se rebellèrent contre le Jugement, ils se rebellèrent contre la mort. Et ils nous attaquèrent. J'étais sur terre, alors. Ceux qui m'avaient accompagnés furent massacrés sous mes yeux. Je n'avais pas d'arme, nous n'avions pas d'armes. Comment aurions-nous pu lutter contre leur férocité ? Contre cette violence que jamais nous n'aurions imaginé tournée contre nous... Nous, leurs protecteurs, leurs gardiens...
Je m'enfuis. Je retournai au Ciel... Alors il nous fallut nous armer. Imposer aux humains leur condition. Nous assurer qu'ils ne nous prendraient plus pour cible d'une vengeance aveugle et irréfléchie. Et peu à peu, l'ordre revint. Et, comme si rien n'avait eu lieu, comme si le sang n'avait pas coulé, tout reprit comme avant. Sans que les humains ne reçoivent la moindre punition pour leur révolte.
La perte de mes compagnons me labourait le cœur, et je ne pouvais comprendre, non, je ne pouvais comprendre. Je vins de plus en plus souvent observer les jugements des âmes. Jugements où certaines étaient punies... Mais où rares étaient celles qui recevaient un réel châtiment. Un châtiment à la hauteur des crimes qu'elles avaient commis.
Et peu à peu, mes yeux s'emplirent de sombres nuages alors que je contemplais ces âmes.
Ne me laissez pas seul...
Un jour, je quittai les salles de jugement, et j'allai voir le Créateur. Je lui parlai. Je m'ouvris à lui. Pour que la Justice soit véritablement, il ne fallait pas que des récompenses pour les méritants. Les mauvais devaient également être punis. Tel était mon sentiment. Les choses devaient être ainsi, au lieu de laisser certaines âmes errer sur terre jusqu'à leur complète disparition.
Et pour cela... Pour cela, il fallait créer un lieu pour la punition des pires Damnés. Pour que ceux qui avaient commis des crimes impardonnables et ne s'en repentaient même pas reçoivent enfin ce qu'ils méritaient. Le Purgatoire existait certes déjà pour les punitions, mais ce n'était pas la même chose. Il n'était pas suffisant...
Dieu refusa.
Je ne comprenais pas comment les humains qui nous avaient attaqués sans pitié pouvaient avoir un tel traitement de faveur. Sa décision me choqua, me heurta. Les graines de haine qui avaient déjà été semées dans mon cœur grandirent.
Comment le Seigneur pouvait-il être aveugle à ce point ? L'amour qu'il portait à ses chétives créations l'aveuglait, l'empêchait de voir la réalité. De voir à quel point certains d'entre eux, un grand nombre d'entre eux... étaient fourbes et profondément mauvais... Il était aveuglé, et prenait leur parti contre moi... Il... me trahissait, moi, le plus parfait des Anges, moi, la plus belle de ses créations...
Je rassemblai certains de mes amis de toujours. Tous ceux qui voulaient bien me suivre, tous ceux qui avaient gardé une marque indélébile de la violence mortifère des humains. Tous ceux qui souhaitaient faire changer les choses. Nous prîmes les armes. Et nous allâmes défier le Créateur, bien décidés à faire écouter notre voix. Ma voix.
Mais nous n'avions pas la moindre chance. Non, pas la moindre... Nous nous battîmes jusqu'à notre dernier souffle... Mais ce ne fut pas suffisant. Cela n'aurait jamais pu être suffisant. Nous ne pouvions pas résister à la puissance du Créateur...
Mes ailes... me furent arrachés par sa main. Je hurlai de douleur sous le regard de mes amis de toujours. Messiel, Judel, Isaël, Gabriel... Pourquoi n'avez-vous rien fait ? Pourquoi n'avez-vous pas parlé en ma faveur ? Et pourquoi une telle punition... ? Pourquoi m'infliger des souffrances pires que la mort... ? Pourquoi me jeter dans le vide après m'avoir arraché ce qui m'était le plus cher, mes ailes et ma lumière ?
Je voyais mes plumes blanches tachées de sang qui voletaient au dessus de moi, comme pour me narguer... moi qui ne pouvais plus voler... Gabriel me regardait tomber, sans un geste, sans une parole. Ne pouvait-il pas me sauver ? Me sauver de ce châtiment atroce et injuste ? Il aurait été plus miséricordieux de me tuer immédiatement, plutôt que de me faire subir cela...
Mes compagnons tombaient avec moi. Les autres anges rebelles, ceux qui m'avaient suivis, qui avaient cru en moi... Ils chutaient également. Hurlant, leurs corps tordus par la souffrance. Ils perdaient leur lumière, comme moi... Mais ils se perdaient avec elle. Et je les vis disparaître, les uns après les autres. Je les vis mourir, et je me retrouvai seul à tomber vers les ténèbres.
Alors que je croyais avoir atteint l'apogée de mes souffrances... Une douleur infinie irradia de mon front, alors que je chutais. J'y portais mes mains, et je ne sentis qu'un trou ensanglanté là où se trouvait autrefois mon émeraude. Non... Je n'en pouvais plus, que tout cela s'arrête, pitié, je ne voulais pas... subir encore une autre déchéance...
Ce fut alors que je heurtai le fond. Précipité dans les entrailles de la terre, je me fracassai sur le sol, sentant mes os se briser. Et les ténèbres s'emparèrent de mon esprit, me plongeant dans l'inconscience. J'espérais presque que la mort viendrait me prendre, pour me libérer de mes douleurs... J'entendais des rires. Les rires des anges... Comment osaient-ils se moquer de moi... ? Puis, alors que je basculais dans le néant... Je perçus comme l'écho d'un hurlement, le hurlement qui s'échappait silencieusement de mon âme depuis le début de ma chute.
Mon Fils, mon Frère... Merci.
J'ouvris les yeux. Pour la seconde fois de mon existence, je sortais du néant. Mais cette fois, nulle lumière pour m'accueillir et me rassurer. Rien qui me soit familier, rien auquel je puisse me raccrocher... Rien, hormis la douleur, à laquelle je commençais à m'habituer. Pendant quelques secondes, elle était si violente que je ne savais même plus qui j'étais.
Puis mes yeux tombèrent dans les siens. Si verts... Verts comme l'émeraude que j'avais perdue à jamais... Immédiatement... Immédiatement, sa présence me rassura. M'apaisa. Je n'étais plus seul. Je ne serais plus seul. Il était là, lui. Né de mon âme, né de mon sang... Ma Colère...
"Satan..."Ma voix n'était qu'un faible murmure, méconnaissable. Mais je savais deux choses. Je vivrais. Et je n'étais plus seul. Mes paupières s'abaissèrent à nouveau, et je replongeai dans l'inconscience, bien plus paisiblement. Il y a avait quelqu'un à mes côtés. Quelqu'un qui ne m'abandonnerait pas, quelqu'un qui veillait sur moi. Un sourire crispé mais soulagé dansa quelques secondes sur mes lèvres, avant de s'effacer lentement.
Je ne m'éveillai pas avant un long moment. Mon corps avait été si abîmé qu'il lui fallut de longues heures, de longues semaines, de longs mois pour qu'il se remette. Je n'avais que de brefs sursauts de conscience, durant à peine quelques secondes. Parfois, je voyais la silhouette rassurante de Satan non loin de moi. Parfois il n'était pas là, mais je n'avais pas peur. Je savais que si je l'appelais, il viendrait. Je savais que je n'étais pas abandonné à moi-même.
Puis un jour... J'eus à nouveau conscience de ce qui m'entourait. J'eus à nouveau conscience de la réalité. Lentement, je me redressai pour m'asseoir sur le lit. J'entendais du bruit. Des voix. Je me passai une main sur le visage, sur mon visage à jamais marqué par ma chute. Et je me levai. Mes ailes d'un noir profond bruirent doucement tout en se replaçant dans mon dos, et je sortis de la pièce.
Satan se trouvait là, encore et toujours. Il se trouvait là, entouré par des enfants. Par ses enfants. Ses frères. Nos frères. Mon regard rouge erra sur le tableau qui s'offrait à moi, puis s'arrêta sur les yeux verts de Satan. Et je souris. Puis je m'avançai vers eux pour serrer dans mes bras les frères que mon fils nous offrait.
Pour autant, je le laissais souvent se charger de les élever. Ils étaient ses Princes, et même si je l'aidais lorsqu'il avait besoin de moi... C'était à lui de prendre en charge leur éducation. Il l'avait commencé, alors que j'étais toujours inconscient. Il devait le finir. J'observais. Je le regardais, je l'encourageais par ma présence et mes regards.
Je lui devais énormément. Je l'avais créé, mais il avait donné vie à mon projet, il avait donné vie à la cause de ma chute... Il avait tant accompli, pour nous, pour moi. Et j'étais fier en le regardant, oui, j'étais fier de lui. Il ne cessait d'être digne de moi, il ne cessait de progresser... La fierté m'envahit de nouveau lorsqu'il apprit à utiliser sa Voix, lui aussi.
Lorsque le Paradis commença à s'inquiéter de notre existence, ce fut encore lui qui répondit à leur convocation pour s'expliquer, m'évitant par là de devoir faire face à ceux qui m'avaient trahi. Et l'Enfer se remplit peu à peu de Damnés, qui subirent leur châtiment sous notre étroite surveillance, à moi, à Satan et aux autres princes.
Je suis né deux fois.
Une fois dans la lumière et la félicité, une fois dans la douleur et le sang.
Je suis Lucifer, le Porteur de Lumière. Je suis Lucifer, Prince de l'Orgueil. Je suis l'un des deux Seigneurs des Enfers.
Je suis.
Et vous devriez tous le prendre en compte...