Mon histoire ? Est-il nécessaire de s’embarrasser avec de telles broutilles ? Enfin, si vous souhaitez vraiment en apprendre plus sur moi… Je suis d’humeur magnanime, aujourd’hui.
Bref. Je suis né dans cette si belle ville qu’est Londres. Quant à savoir si je l’aime ou je la hais… Les deux à la fois, peut-être ? J’y suis né, j’y ai grandi, et j’y vis toujours. Mais je ne peux parler de mon enfance sans évoquer mes parents. Comment se sont-ils rencontrés ? Ils ne me l’ont jamais dit. Et j’ai fini par ne plus poser la question. En tout cas, ils se sont suffisamment aimés pour m’avoir. Ou alors, je n’étais qu’un prétexte pour empêcher ma mère de partir. Là aussi, c’est flou pour moi, même si j’ai tendance à penser au prétexte.
Ils n’étaient pas mariés. Oh, ils s’occupaient bien de moi. J’avais tout ce qu’il me fallait. J’étais fils unique, et nous ne manquions de rien, alors j’étais un peu gâté. Je grandis dans le confort et non dans le besoin. Mais des preuves d’amour entre mes parents… Je n’en voyais que peu, et plus le temps passait, moins il y en avait.
Puis, un jour, peu après mes sept ans, je retrouvais ma mère dans l’entrée. Mon père parlait avec elle, et le ton montait. Je remarquais alors sa valise, ainsi qu’un sac qu’elle tenait à la main. Je refusais de comprendre jusqu’à ce que j’entende mon père lui dire qu’elle ne pouvait pas "partir comme ça". Elle partait. Pourquoi ? Quand allait-elle revenir ? Je relevais les yeux vers elle lorsqu’elle s’approcha de moi. Elle m’étreignit, mais je restais sans réagir.
« Je suis désolée, mon cœur. Maman s’en va, mais tu vas rester fort, pour me faire plaisir. D’accord ? »
Puis elle s’écarta de moi, me laissant tétanisé et en larmes. Elle partait ? Vraiment ? Je ne comprenais pas. Pourquoi ? Avais-je fait quelque chose de mal ? J’étais tellement choqué que je ne pouvais que la regarder s’éloigner. Mon père tenta de la retenir, et lui attrapa le poignet alors qu’elle ouvrait la porte ; elle le gifla et s’en alla promptement. Je ne la revis plus jamais.
À partir de ce jour, vous devez vous en douter, plus rien ne fut comme avant. Mon père devint plus distant, et s’enferma dans une sorte d’apathie. Nous ne nous parlions quasiment plus, même s’il continuait à s’occuper de moi. Oh, assez sommairement, il me donnait mes repas, m’achetait des vêtements… Mais il n’y avait plus d’affection dans ses gestes. Alors je changeais, doucement… Je devenais un peu plus "rebelle", me disaient mes instituteurs. Peut-être. Quelques bêtises me sortaient de ma réserve habituelle.
***
Je grandis et continuais à me comporter en mauvais garçon. Je pouvais hurler sur mon père lorsqu'il laissait la nourriture brûler, ou lorsque le linge n'était pas lavé, sans qu'il ne réagisse. Il n’y avait personne pour me gronder et me remettre dans ce qu’ils se plaisaient tous à appeler "le droit chemin". Et pourtant, je me montrais plus prudent ; je me faisais rarement attraper.
C’est vers mes quinze ans que je rencontrais Dean. J’avais piégé la chaise de notre professeur en y retirant quelques vis ; lorsqu’il s’y était assis, elle s’était cassée, et les rires avaient fusé. Rouge de honte, le professeur avait cherché le coupable, mais j’étais bien trop prudent pour me faire voir du corps enseignant, et il n’y avait aucun délateur dans ma classe : je m’en tirais sans qu’il ne connaisse le coupable. Le cours se déroula sans encombre, et je me fis rattraper par Dean en sortant.
«
Va falloir que tu me donnes ton truc. J'ai tendance à toujours me faire choper, moi ! »
Je souris, et pour une fois, laissais quelqu’un m’approcher.
«
Je préfère garder mes secrets pour moi. Mais qui sait, si je parviens à te faire confiance… »
Oh, je ne le laissais m’approcher que petit à petit, mais je le laissais tout de même devenir un peu proche de moi. Nous nous alliions parfois pour faire les quatre cent coups. C’était devenu un ami. Même si je me parais à une éventuelle trahison. Ma propre mère était partie en m’abandonnant, pourquoi un ami ne pourrait-il pas en faire de même ?
***
Mais Dean resta fidèlement à mes côtés, aussi fidèle puisse-t-il être. Et il vint un jour où il m’avoua être lié à une affaire de trafic de drogues. Nous avions alors dix-neuf ans. Il alla même jusqu’à me proposer de faire partie de leur groupe. Ils avaient besoin de moi, me disait-il. Ils avaient besoin de mes idées. J’étais brillant, et c’était bien pour cela qu’ils me voulaient.
C’est ainsi que je finis par devenir dealer. Je prenais peu à peu de l’importance ; c’était moi qui mettais au point quelques plans. Ma prudence nous évita pas mal de problèmes, d’ailleurs. Je me rendais indispensable. J’étais un génie. Et ceux qui ne le savaient pas déjà apprirent qu’il ne fallait pas me contredire.
Maintenant ? J’ai vingt-trois ans et des poussières. Et toujours mêlé à la drogue. Ce n’est pas mon père qui va m’empêcher de continuer ; non seulement il n’en sait rien, mais il se fiche de ce que je peux faire. D’ailleurs, j’ai mon propre appartement, maintenant. Le seul lien qui nous unit encore est le fait qu’il me donne de l’argent pour payer mon loyer. Mais là encore, il ignore que j’ai suffisamment de billets pour me passer de lui… Ce n’est pas non plus ma mère qui pourrait s’en mêler ; j’ignore même si elle est toujours en vie.
Mais je ne me soucie plus de mes parents. Pourquoi le devrais-je ? L’un d’eux m’a abandonné, et l’autre ne m’est plus utile qu’à me fournir de l’argent. Je suis un adulte indépendant, maintenant. Et ma position me convient parfaitement.
Peut-être me verrez-vous. Peut-être vous effraierais-je en m’énervant. Peut-être vous séduirais-je. Peut-être me reverrez-vous. Après tout, je vends du rêve en cachets.