-
WAZAAAAAAAAAAA !!!Du haut de ses sept ans, Charles se jeta dans un groupe de trois grands en train de martyriser un de ses camarades de classe. Pourtant, de ses petits poings de gosse mal nourri, il en assomma deux sans qu'il n'ait rien eu le temps de faire tandis que le troisième s'enfuit à toute jambe face au déferlement de violence. Charles se redressa. :
-
Non mais...Il aurait pu s'arrêter là, mais il courut après le gamin, de deux ans son aîné, et le tacla violemment. :
-
Assumes de t'en prendre à plus jeune que toi !Il lui écrasa le nez avec son poing fermé. Puis satisfait de l'entendre chouiner, il se releva et revint en direction de son ami. Celui-ci était resté parfaitement immobile, tétanisé par la peur. Charles lui tendit sa main abîmé doucement. :
-
Hey... Mec, il faut qu'on s'éloigne.Il le releva et le raccompagna jusque chez lui.
***
Charles était en train de mettre la table quand on sonna à la porte. Sa mère alla ouvrir... Une femme se tenait sur le pallier, avec un garçon encore tout amoché par Charles... Il grimaça tandis que sa mère poussa un soupir. La discussion fut brève, l'explication rapide. Charles dut s'excuser sous le regard satisfait de l'autre brute... mais il le menaça d'un geste vif sous la gorge. Quand la porte fut refermée, la mère s'agenouilla face à son petit garçon. Elle ne savait comment l'élever depuis la mort de son père... :
-
Je sais que... tu voulais bien faire mon garçon mais...-
Mais la violence ne résout rien. Oui je sais m'man, mais ces gars sont pas du genre à écouter.Pour toute réponse, elle tapota l'épaule de son enfant et l'intima d'aller manger. De simples pâtes avec un peu de beurre. Leur vie n'était pas dure, ils avaient un toit, de la nourriture et des vêtements... Charles allait à l'école la moins chère, remplie de délinquants juvéniles mais au moins, il y allait, et sa mère travaillait dans une usine, c'était dur et éprouvant, mais elle payait les factures. Pour beaucoup, une vie de privations, sans vacances, sans voyages, sans nuances, pour eux, une vie simple où le lendemain avait le mérite d'être certain, sans inquiéter de savoir s'ils auraient faim.
***
Dans le bureau du conseiller d'orientation, Charles s'installa sans gêne. L'homme le regarda en hochant négativement la tête... Il était, sans le vouloir, dans sa façon d'être, un véritable petit voyou. Il prenait ses aises, ne s'inquiétait jamais de ses punitions -sauf quand elles étaient injustifiées- et traitait tout le monde, que ce soit un instituteur ou un élève, de la même manière... Amicale certes, mais pour beaucoup, c'était de l'impolitesse pure. Le conseiller regarda son dossier sans trop s'y attarder, soit il l'avait déjà vu, soit il s'en branlait. :
-
Tes résultats sont dans la moyenne dans toutes les matières... Toutes les portes te sont ouvertes. Je n'ai rien à te dire...-
M'sieur, j'crois que vous avez pas compris pourquoi j'ai demandé un rendez-vous.Celui-ci leva un sourcil quand il vit le gamin de seize ans se redresser pour poser ses coudes sur le bureau, soudain très sérieux. D'un coup, il fut bien plus ouvert et à l'écoute. :
-
Je sais parfaitement que je peux aller dans n'importe quel filière à ce niveau... Mais je n'ai aucune idée de ce que je veux faire plus tard. J'ai passé mon enfance à ne jamais m'inquiéter du lendemain à partir du moment où on avait de quoi manger.-
Y a-t-il quelque chose que tu aimes particulièrement faire ?-
Nan m'sieur, on n'a pas trop les moyens de s'acheter de quoi nous occuper. Les seuls livres que je possède sont mes livres scolaires. J'évite de trop user mes crayons en dessinant... 'fin, vous voyez quoi. Il voyait parfaitement oui. Malheureusement, il ne pouvait rien faire pour ce garçon. Tout lui était possible et rien ne l'intéressait... Il lui donna un rendez-vous au milieu de l'année pour en reparler, lui demandant de faire quelques recherches par lui-même.
***
-
Charles ! Charles !-
Quoi m'man ?-
La cafetière... Elle ne fonctionne plus encore.Il poussa un énorme soupir tout en regardant sa génitrice de biais. A peine eut-il démonté l'appareil qu'il sut exactement quel était le problème.
-
Tu as continué d'utiliser l'eau du robinet...-
Je sais que tu m'as dit que c'était pas bien... Mais je peux pas utiliser l'eau potable juste pour mon café !Il ne dit rien, mais il s'agissait aussi de son café. Il avait appris à réparer tout ce qui pouvait se trouver dans une maison, de simples chaises à toute une plomberie, de la télévision aux serrures un peu raides... Tout en détartrant la cafetière, il songea qu'il pourrait peut-être faire l'un de ces métiers-là ; électricien, plombier ou serruriers. Ce qui pourrait aider les autres. C'était tentant mais il ne s'y voyait pas du tout. Une fois la réparation terminée, il regarda l'heure.
-
M'man ! J'vais à ma première leçon de conduite !***
Le volant dans ses mains, Charles avait l'impression de tout ressentir au centuple : les vibrations du moteur jusque dans le volant, la gomme des pneus sur le goudron, le vent rencontrant le pare-brise avant de glisser le long de la carrosserie, la poussée de l'engin quand il changeait de vitesse. C'était une violence inouïe et d'une sensualité tout aussi puissante que lorsqu'il était dans le lit d'une fille. Il fit glisser son doigt pour faire pivoter la voiture sur la droite, comme lorsqu'il caresse la nuque d'une femme nue, fixant l'horizon comme il fixe la courbe d'un dos, les lèvres entrouvertes appelant à la liberté... Il ne s'agissait pas de maîtriser, mais d'une communion. Quelque chose qui le poussait à ne jamais s'arrêter, à rouler jusqu'au bout du monde, à partager cet instant intense jusqu'à la fin des temps.
A peine rentré chez lui qu'il appelait son conseiller d'orientation.
***
Il embrassa avidement la gorge de sa compagne du soir avant de lentement faire glisser sa langue exactement là où devait se trouver ses artères, la faisant gémir doucement. Ce son lui plaisait tant, bien plus que sa propre jouissance, entendre qu'il faisait plaisir, cela lui donnait la chair de poule, tendant tous ses nerfs du dos, créant un frisson intense le long de sa colonne. Il se redressa et la souleva en même temps, l'emplissant jusqu'au cœur avec toute sa tendresse, toute sa sincérité et de son amour éphémère mais tellement puissant pour elle. Ce mouvement lui fit mordre l'épaule de Charles, il laissa un son guttural s'échapper de sa gorge... Le mélange de la douleur, du plaisir et du partage des sensations lui fit perdre pied. Plongeant son visage dans les cheveux blonds bouclés, il se laissa aller au plaisir avec elle, dans un chœur mélodieux, qui unit les hommes et les femmes depuis toujours.
***
Il sortit de la chambre du motel pour retourner au bar adjacent tout en remontant sa braguette. Aucune classe. Il tangua jusqu'au comptoir, s'y rattrapa de justesse et demanda l'énième bière de la soirée. Le patron était bien content de le servir mais le jeunot devait se calmer avant de réellement devenir alcoolique... Il avait certes passé ses examens médicales pour enfin devenir un chauffeur et rouler à travers le pays, il devait fêter ça... Mais il le faisait depuis une semaine maintenant. :
-
Qu'est-ce que tu vas inventer comme excuse à ta pauvre mère cette fois ?Le sourire de Charles disparut. Il but cul-sec sa boisson avant d'en demander une autre... Sa mère. Elle n'était plus là. Parce qu'elle avait préféré se taire plutôt que de dire à son gamin que son travail lui avait pourri les articulations, puis les os... Et maintenant elle pouvait même plus marcher. Elle ne marcherait plus jamais. Lui, il allait à son tour travailler jusqu'à l'épuisement pour lui rendre la vie plus douce... Car c'était simplement injuste ce qu'elle s'était infligée pour qu'il puisse ne jamais s'inquiéter du lendemain, qu'il puisse passer son permis, qu'il puisse faire la fête le soir au bar... Pendant qu'elle trimait.